15 junio 2006

Cuzco, cuisine et pillage

Le jour du Corpus Christi est une grande fête à Cuzco. Des saints immenses sont portés hors de leurs églises respectives en procession et font le tour de la place principale. Ils ont chacun leurs fidèles supporters, leurs attributs et leur plat typique.
Ce jour là on déguste le Chiriuchu. Dans une même assiette 12 ingrédients, dont 9 nouveaux pour nos papilles : du cuy rôti (cochon d'inde, si si), ses intestins fourrés et frits, des algues, des oeufs de poissons (élastiques), de la poule (tiens ça on connait !), des beignets de farine de maïs, du fromage frais, du charki (viande de boeuf séchée), du choclo grillé (maïs crémeux qu'on n'a pas en France), de la saucisse et on ne se souvient plus quoi...! Pour accompagner on boit de la chicha, bière de maïs fermentée. Et après, une bonne sieste ! Ça la sieste c'est international !
La cuisine péruvienne est d'une diversité incroyable, pour ses modes de cuissons imaginatifs, ses nombreuses soupes et l'abondante variété de fruits et légumes. On ne peut pas la connaître en France, faute d'ingrédients, et c'est bien dommage !

Les bâtiments coloniaux de Cuzco sont souvent édifiés sur les bases de magnifiques murs incas, aux pierres si bien jointes qu'on se dit que les conquistadors n'ont pas su les démanteler.
Cuzco c'est un pillage, et la visite est amère. La plupart des habitants actuels sont ignorants de l'histoire, mais certains guides ont encore du mal à s'adresser aux espagnols. Car ils ont fait tomber les murs des palais à l'architecture précise, anti-sismique, et ces pierres à la taille parfaite, comme celles de Sacsayhuaman, ils les ont utilisées pour ériger des cathédrales et des églises qui s'effondrèrent au premier tremblement. Ils ont dépouillé les temples, fondu les épaisses plaques d'or qui en recouvraient les murs et sur lesquelles étaient sculptées en bas relief les bases de la cosmologie inca. On parle d'un jardin d'or. Des sculptures d'animaux, d'hommes, de plantes en or massif, fondues elles aussi et le précieux métal embarqué pour l'Espagne. Mais il y a bien pire : une civilisation entière étouffée sous la bure catholique. Et de quelle manière !
Et s'il faut regretter, ce n'est finalement pas la chute de l'empire inca, mais ce qu'il protégeait, les valeurs de base des civilisations pré-incas. Ce qu'il y avait avant, dessous, et qui peut être perdure, mais sous une forme grossière et affaiblie, dans les villages péruviens et boliviens : l'échange culturel avant la guerre, la communion avec la nature (cultures en terrasses à l'échelle humaine, sans surplus), le partage du travail et l'entraide. On peut rêver des solutions qu'auraient pu apporter ces peuples au monde contemporain sur les thèmes du travail, de la famille, de l'organisation sociale, de la justice, de l'économie.
L'empire inca, dont on parle tant, est le rassemblement de ces cultures sous un règne. Fût-il grandiose ce n'est, dans l'histoire, qu'un passé récent et limité. Cet empire si important est peut être finalement le faux pas, le point faible, la vanité qui a permis aux espagnols d'imposer si facilement notre façon de voir à des peuples qui avaient su envisager le monde autrement. Car les incas se sont mis à la tête des peuples andins et cette tête les espagnols n'ont eu qu'à la couper et à s'y substituer.

Comment une poignée d'hommes a-t-elle pu conquérir ces territoires ? Grâce à une chance incroyable et un esprit retord.

En 1433 les andes sont divisées et épuisées par une guerre fratricide. Pizarro débarque, à quelques jours près, vraiment au bon moment. Il se place dans le sillage des troupes d'Atahualpa, un des frères héritiers, qui marche sur Cuzco. Ce dernier est trop occupé par ses combats pour prêter attention à ces étranges individus. Bon, Atahualpa gagne la guerre. Pizarro lui tend un piège, l'enlève, demande en rançon des tonnes d'or et d'argent, les obtient, tue Atahualpa, entre dans Cuzco et met sur le trône un inca postiche. Le peuple organisé pour suivre la hiérarchie ne réagira que beaucoup plus tard et sera maté.
Ils étaient des milliers contre un conquistador, comment croire que les épées, la poudre, ou la cavalerie ont suffit à écraser un peuple ? Non, l'arme fatale aux incas c'est simplement le mensonge, la tromperie, des mots qui n'existaient même pas dans les langues indigènes.

C'est là que hop, tel le bondissant guanaco et fidèle à mon style échevelé mais décomplexé, je vous renvoie à la géopolitique actuelle et à notre responsabilité d'européens, yahoo.

Comme je le soutiens dans les discutions enflammées avec les locaux, le problème de la reconnaissance ne concerne pas seulement l'Espagne. L' exploitation passée des colonies fonde l'actuelle prospérité de nombreux pays européens (allez les bleus !). Autrement dit notre ascendant économique est le rejeton d'actes immoraux et contraires à nos chers Droits de l'Homme. Sommes nous prêts à le reconnaitre ? Les multinationales pillent encore aujoud'hui les richesses, rachètent les terres au mépris de la population locale. Nous avons vu les mines, nous avons vu les fleuves et les sols pollués, nous avons vu les paysans déboutés.
Et par je ne sais quel jeu tordu ce sont ces mêmes pays qui sont aujourd'hui en dette au niveau international ! N'y aurait-il pas une petite erreur ?

Comment accepter ces simples injustices : nous pouvons voyager et eux non, nous avons le pouvoir d'achat et eux non, l'accès aux soins et à la culture et eux non, et nous continuons à tirer partie de nos avantages. Le premier geste à faire depuis chez nous : une consommation responsable.

«Fini le pillage», c'est ce qu'a dit le président bolivien Evo Morales en annonçant le 1er mai la nationalisation du pétrole et du gaz. Les pontes de la Commission européenne ont fait savoir qu'ils étaient préoccupés par cette mesure et ont reproché à Morales de ne pas les avoir consultés au préalable. Le contrôle de ses propres minéraux est pourtant, selon le droit international, logique et légitime. Pour éviter tout malentendu, Morales a repris dans son décret des articles des traités des Nations Unies qui reconnaissent le droit souverain des pays à disposer de leurs richesses naturelles ¡ Vamos Evo !

Pour finir sur le thème : les péruviens réclament encore au musée Peabody de Yale (oui l'université) de restituer les objets sacrés du Machu Picchu, patrimoine conservé par les américains de façon autoritaire. Allez voir http://www.yale.edu/peabody/. Le pillage continue ?